De Ururi à Montecilfone

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2 - De Ururi à Montecilfone

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20/08/2025 – Distance parcourue aujourd’hui : 21,2 km – Distance totale : 36,7 km

À six heures précises, je quitte ma chambre. Je me demande si je trouverai un bar ouvert pour le petit-déjeuner, mais dès que je mets le pied dans la rue, je découvre que la vie à Ururi a déjà commencé depuis longtemps. Des tracteurs de toutes sortes défilent dans les rues et le premier bar est déjà rempli de clients. Pas étonnant : Ururi vit de l’agriculture, et ici, la journée commence tôt. En me promenant dans le village, je remarque que tous les bars sont déjà ouverts.

Une nouvelle journée d’asphalte m’attend, prix inévitable pour traverser le Biferno sans devoir le guéer. Tant pis : cette fois, je suivrai ce qui reste du Tratturo Sant’Andrea–Biferno.

À la sortie du village, un panneau m’accueille : « mirë si erdhet rur » (Bienvenue à Ururi). C’est le signe que je me trouve dans l’enclave Arbëreshë du Molise. Son histoire est étroitement liée aux tratturi et mérite un bref rappel : en 1447, le roi Alfonso d’Aragon crée la Dogana della Mena delle Pecore de Foggia, instaurant le système législatif qui régulera la transhumance pendant des siècles. Quelques années plus tard, l’Albanie retombe sous domination ottomane et de nombreux réfugiés affluent dans le Royaume des Deux-Siciles. Alfonso favorise cette immigration pour repeupler un Molise presque désert : les bergers transhumants avaient besoin de communautés locales pour les approvisionner en nourriture et en biens. C’est ainsi que naît et survit jusqu’à aujourd’hui cette enclave, où l’on parle encore un dialecte très proche de l’albanais.

Après 3,5 km, je quitte enfin l’asphalte. Le premier tronçon de piste est envahi par les broussailles et j’avance lentement, mais lorsque je retrouve le vrai tratturo, le pas devient plus rapide et le plaisir augmente.

Je longe une centrale électrique, suivant les tuyaux d’un nouveau gazoduc, tracé naturellement le long du tratturo. Puis de nouveau de l’asphalte : une route peu fréquentée qui traverse le centre du parcours. Je patiente jusqu’au neuvième kilomètre, lorsque je retrouve la terre battue et la première descente vers le Biferno.

Alors que je descends, une voiture arrive en sens inverse. Je me décale pour la laisser passer et le conducteur baisse la vitre : c’est Antonio !

Tu m’as trompé ! s’exclame-t-il. Tu m’avais dit que tu partirais tôt, et te voilà encore ici ! Je tourne depuis des heures sur les tratturi de Montecilfone sans te trouver !

Je regarde l’heure : il est 8h30. Je suis parti à 6h00, au lever du soleil, et en deux heures et demie j’ai déjà parcouru neuf kilomètres, pas mal avec le sac à dos que je traîne. Je lui demande :

– Selon toi, à quelle vitesse peut aller quelqu’un à pied avec un sac comme celui-ci ?
– Bah, autour de 15 km/h, répond-il.

Je le regarde, désespéré : il croit sans doute que je me déplace à cheval.

Nous restons un moment à discuter de la situation dans le Molise (et j’en profite pour reprendre mon souffle). Antonio me fait remarquer le nombre impressionnant de machines agricoles qui passent : certaines, je ne parviens même pas à les reconnaître. Il se plaint que la région ait misé presque exclusivement sur l’agriculture, avec de lourds subventions pour l’achat de machines. Le résultat est que même le paysan avec une petite parcelle possède un engin souvent surdimensionné par rapport à ses besoins. C’est un gaspillage évident, mais à mes yeux, ce n’est pas si grave. Antonio insiste toutefois : les jeunes quittent la campagne et les villages de l’arrière-pays se vident. Bientôt, il n’y aura plus personne pour conduire tous ces engins. Peut-être – réfléchit-il – aurait-il mieux valu orienter les financements vers quelque chose capable d’attirer les jeunes.

Avec son fils, par exemple, il a réalisé des fresques à Ururi et dans les villages voisins, espérant qu’elles puissent devenir une petite attraction touristique.

– Si les villages ruraux ont peu à offrir, me dit-il, il faut inventer quelque chose de nouveau.

Entre-temps, des voitures qui nous dépassent lancent des salutations continues à Antonio (mais combien est-il connu ?). Nous échangeons enfin nos numéros de téléphone, puis je le salue : le soleil tape fort et je dois reprendre ma route.

D’ici, c’est une succession de petites descentes jusqu’au fameux pont qui me permet de traverser le Biferno sans le guéer. Cette année, l’eau est encore plus abondante.

Je fais une pause à l’ombre de quelques oliviers avant d’affronter la longue montée finale vers Montecilfone, en plein soleil, sur l’asphalte, sans un arbre pour m’abriter. Cette année, de plus, il n’y a ni « Cuor di Leone » ni la joyeuse compagnie à mes côtés.

J’arrive au village épuisé et m’arrête au même bar que l’an dernier. Même scène : je demande s’il y a un endroit pour manger, mais tout est fermé. En revanche, on m’offre quelques morceaux de pizza restés de leur déjeuner. Je leur fais remarquer que l’an dernier j’avais eu plus de chance, avec une friture de calamars : nous rions ensemble de bon cœur.


21/08/2025 – Distance parcourue aujourd’hui : 26,1 km – Distance totale : 62,8 km

Comme annoncé, je passe sous silence la description de l’étape suivante, de Montecilfone à San Salvo, car elle est identique à celle de 2024 et aucun événement notable ne s’y est produit. Le récit reprend donc à San Salvo, avec les étapes le long du Tratturo Magno nécessaires pour atteindre Serracapriola.

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